Avec son kiosque, sa petite fontaine et son grand parking, la place Raoul Larche n’est plus la place centrale et animée qu’elle était les siècles précédents. Difficile de s’imaginer que se trouvaient à cet endroit une monumentale halle de 508 m2, des prisons, l’école primaire communale et même un tribunal seigneurial !
En réalité, sur cette place se sont succédé deux halles (d’où le terme un peu abusif « des halles » lorsque l’on parle en fait d’une seule halle). La première est déjà construite en 1696 (un acte notarié le mentionne), mais elle est en mauvais état. En 1737, la charpente composée de cinq rangées de piliers de bois posés sur des pierres est attaquée de toute part et s’est même écroulée côté grande rue où se trouvait le parquet (lieu où se rend la justice).
Vers 1750, les anciens de Saint-André avaient demandé à Jean-Frédéric de La Tour du Pin, leur seigneur, de leur bâtir une nouvelle halle et une fontaine, ce qu’il fait, à ses frais, sur une place vide. Sur ce lieu se retrouvent de nombreux commerçants lors des marchés, établis depuis 1289, et lors des foires plusieurs fois par an.
Au moment de la Révolution, les droits seigneuriaux sont abolis et la municipalité souhaite se doter d’un local pour organiser ses réunions et demande à racheter la halle et ses dépendances à l’ancien seigneur. Des courriers datés de 1792 témoignent de « la noblesse et de la générosité de ce grand seigneur », comme l’écrit l’historien Alexandre Nicolaï. En effet, des experts indépendants ont évalué le prix de la halle et des bâtiments adjacents à 8454 francs et le sol à 1038 francs. La correspondance de l’époque indique que La Tour du Pin a renoncé aux 1038 francs et a demandé à ce que cette somme soit donnée aux pauvres de la commune, ce qui a été fait par une distribution de pain sous la halle. Il n’est pas possible de se montrer plus galant homme que ne l’a été en cette circonstance La Tour du Pin, qui mourut guillotiné en 1794.
Après réparations, la première « maison commune » (mairie) est donc installée à la place de l’ancien tribunal seigneurial. Cette salle communique avec la prison où sont logés les détenus envoyés aux prisons de Bordeaux.
Cette halle faisait donc partie du patrimoine commun.
N’avait-elle pas vu les soldats américains jouer du jazz en 1918 ? N’avait-elle pas abrité le défilé triomphal du 11 novembre 1918, les banquets de toutes les sociétés cubzaguaises ? N’avait-elle pas accueilli la joie débordante des Cubzaguais de la Libération ou les rencontres des jeunes à la conquête de l’âme sœur lors des bals musettes et des foires ?
Mais alors, pourquoi a-t-elle été détruite en octobre 1966 ? En fait, deux problèmes se posaient aux élus : la destruction du bâtiment et le déplacement du marché. Quand la question a été évoquée pour la première fois par les élus, les réactions ont été diverses. Enlever la halle aux habitants du “haut du bourg“, n’était-ce pas comme si on parlait de priver de leur église ceux “du bas“ ?
Les commentaires sont alors allés bon train dans la petite ville de 4500 habitants de plus en plus envahie par les automobiles… Chacun exprimait son avis, les discussions animaient les tables du restaurant du Coq hardi, le comptoir du Bar central, les files d’attente de la pharmacie Pons, du coiffeur Vachaumard, de l’épicerie Pierrat et même la sortie de la messe.
Le constat était sans appel : il fallait aménager des parkings, mais fallait-il nécessairement détruire la halle ?
Quelques soient les opinions, une même question se posait : que deviendrait le marché qui se tenait dessous ? Déjà, la municipalité de Daniel Fournier avait dû se plier aux instructions du préfet en interdisant en 1965 le marché du samedi matin près de la route nationale 10 (passant alors rue Nationale) qui devenait de plus en plus dangereux pour la circulation automobile. Le marché s’installa donc sur la grande place du Champ de Foire. En quelques semaines, il grandit tellement qu’il était impossible de revenir à l’ancienne tradition sous la halle sans déborder du cadre originel. Que faire de la halle ? La charpente nécessitait des travaux de réfection, les pierres étaient abîmées, mais restaurables.
La municipalité pouvait agir. Après mûre réflexion, les considérations des uns et des autres ayant été étudiées, les édiles municipaux ont pris la décision le 22 octobre 1966, à la majorité, de raser la halle.
Quelques jours après, le projet de démolition a fait l’objet d’un appel d’offres aux entrepreneurs, et le 2 novembre 1966, jour des morts, le premier coup de pioche a été donné à la halle deux fois centenaire.
Une destruction impensable aujourd’hui.
© Texte de
Christophe Meynard / ARHAL / Juillet 2022