Ce pionnier de l'aéropostale est tombé dans l’oubli. Mais qui était ce Cubzaguais, pionnier de l’Aéropostale et pilote aviateur de grand talent ?
Mardi 9 janvier 1979, le Tout-Cubzaguais et le Tout-Bordeaux rendent un dernier hommage à une légende de l’Aéropostale, pionnier des traversées aériennes du début du siècle. Mort à l’âge de 77 ans, André Dubourdieu a consacré 21 ans de sa vie aux avions. Fils d’un médecin de Langon, petit-fils du docteur Rémy Moure, médecin de Saint-André-de-Cubzac, cousin du commandant Jacques-Yves Cousteau, André Dubourdieu trouve sa vocation quand, tout enfant encore, ses parents le conduisent à l’aérodrome de Beau-Désert à Mérignac où se donne un grand meeting d’aviation. Dubourdieu s’enthousiasme tellement du spectacle des Blériot, Latham et Farman voletant dans le ciel bordelais qu’il décide de vouer sa vie à l’aviation. Après des études secondaires au lycée de Bordeaux et à la faculté de droit de cette ville, l’heure du service militaire sonne pour lui comme une libération. Il est affecté dans l’aviation, mais comme « divers ». Qu’importe ! L’essentiel n’est-il pas d’y être ? D’ailleurs, trois mois plus tard, ses vœux sont comblés. Dubourdieu devient élève pilote. Breveté en 1921, il totalise comme convoyeur, au cours de ses trois années de service, maintes heures de vol, précieux entraînement aux grands voyages aériens. Un des pionniers de l’Aéropostale Rendu à la vie civile, il devient pilote aviateur de l’Aéronautique civile. C’est l’un des premiers à rejoindre en août 1924 les lignes aériennes Latécoère, devenues Compagnie générale aéropostale, puis Air France. Un an après son admission, il réussit, à bord d’un Bréguet 14, la première liaison commerciale Toulouse-Dakar, aller et retour. Dubourdieu se distingue d’emblée par ses remarquables qualités de fin pilote et par sa maîtrise pour surmonter les difficultés de la ligne en cette période de prémices. Il est affecté en 1925 sur le tronçon France-Espagne-Maroc-Afrique. C’est sur ce tronçon qu’il rencontre le mythique pilote Jean Mermoz. Il effectue, en compagnie de ses camarades pousse-manettes (pilotes) Léopold Gourp et Jean Denis, le premier courrier sur Dakar au mois de mai à bord d’un Bréguet 10.
Enlevé et fait prisonnier au Maroc Affecté en qualité de chef d’aéroplane et pilote à Cap Juby, il effectue de nombreux dépannages dans la zone dissidente du Rio del Oro. À la suite d’un atterrissage forcé dû au simoun en 1925, il est enlevé et fait prisonnier près d’Anglou. On le relâche finalement après paiement d’une rançon ! Dans le secteur du Cap Juby, dans le Rio de Oro, il fait de nombreuses reconnaissances au-dessus des rezzous. Par les renseignements recueillis et par l’influence exercée par lui sur les Maures, il contribue largement à la sécurité des vols en zone dissidente. Camarade de Jean Mermoz et Antoine de Saint-Exupéry.
Revenu à Toulouse en 1930, il remplit, en dehors de ses fonctions de pilote de ligne, celle de pilote d’essai de la société Latécoère qui se consacre alors uniquement à la construction aéronautique après la cession des lignes aériennes à la Compagnie générale aéropostale. Ultérieurement, après la création de la Compagnie Air France, il participe à la mise au point de l’avion l’Arc en Ciel de Jean Mermoz et du Couzinet 10. C’est ainsi qu’il fréquente Jean Mermoz et Henri Guillaumet et qu’il se lie à Antoine de Saint-Exupéry dès 1926 par une solide camaraderie et par des sentiments de mutuelle estime. En 1931, il obtient le Prix des pilotes de ligne. « Les Ailes », revue d’aéronautique, rapporte cette distinction : « Il s’agissait, pour le jury, de désigner le lauréat de la catégorie des vols de jour, parmi les pilotes qui ont accompli, entre le 2 février et le 1er août 1930, le kilométrage le plus élevé, sans accident de personne, sans avarie au fret transporté.
Après Antoine, après Reine, c’est Dubourdieu qui s’inscrit au palmarès du Prix de 3000 francs du Comité français de propagande aéronautique. Dubourdieu, de la Compagnie générale aéropostale, l’emporte avec 79 143 kilomètres en six mois, soit deux fois le tour de la terre ! C’est sur différents parcours que cet excellent pilote a totalisé ce kilométrage impressionnant, mais surtout sur la ligne Toulouse-Casablanca où il a assuré le transport de 154 passagers et de 32 026 kg de fret. Les prix du Comité français de propagande aéronautique ont le double intérêt de récompenser les lauréats qui l’ont bien mérité, et d’attirer l’attention sur les magnifiques états de services de nos pilotes de ligne, trop méconnus, trop oubliés... » En 1932, il est de nouveau lauréat de cette compétition empreinte, aux yeux des pilotes de ligne, de la plus haute valeur morale. Recordman mondial de vitesse. En 1931, il a inscrit son nom au palmarès des records mondiaux. Depuis 1927, les records de vitesse sur 500 et 1 000 km avec 2 000 kg de charge étaient l’apanage de l’Allemagne.
Le 26 mars 1931 à 5h53, Dubourdieu se met en piste à l’aérodrome de Toulouse, à bord d’un monomoteur Laté-28. Cette fois encore, Dubourdieu se dit « assez heureux » à l’atterrissage à 10h20 après avoir volé pendant quatre heures sur le circuit Toulouse-Escatalens-Martres et parcouru 1000 kilomètres à la vitesse de 220 km/h.
Le vaillant pilote avait donc battu le record détenu par l’Allemand Steindorf, qui avait fait les 1000 km à la moyenne de 214,555 km/h. Avec une magnifique obstination, il estimait que l’on pouvait encore faire mieux. Il voulait surclasser sa performance. Trois jours après, c’est chose faite : le record est porté sur 500 km à 226 km/h et sur 1 000 km, à 224 km/h. Est-il satisfait cette fois-ci ? Ce n’est pas sûr, tant cet ardent pilote s’attache sans cesse à la recherche de la performance. André Dubourdieu disait : « Un pilote de l’aviation marchande doit conduire ses passagers, son courrier, son fret dans les meilleures conditions de sécurité. C’est pourquoi je me suis toujours appliqué à éviter tout sport inutile et à réduire au minimum les chances de coup dur. Je crois y être à peu près parvenu, la veine et moi nous prêtant une aide mutuelle... » Pilote d’une qualité exceptionnelle, il n’a pas reçu un don verbal comparable. Il témoigne pourtant, avec une sincérité scrupuleuse, avec une précision technique et objective, une chaleur de fraternelle amitié pour l’équipe sans oublier un rien de souriante fronde à l’égard de lui-même. Il raconte volontiers les premières années, les petits avions ouverts avec deux places, l’huile dégoulinante plusieurs fois sur le pilote, les trajets aériens à vue entre la France et les côtes africaines.
Officier de la Légion d’honneur, officier de l’ordre du Ouissam Alaouite, titulaire de diverses médailles de l’Aéro-Club de France et de la Chambre de commerce de Paris, André Dubourdieu totalisait à la fin de sa vie 11 000 heures de vol et avait parcouru 2 millions de kilomètres sans accident. Après une longue carrière, il prend une retraite méritée en 1942 pendant laquelle la compagnie Air France lui offre une traversée Paris-Caracas à bord du Concorde à l’occasion du premier anniversaire de la mise en service de la ligne.
Marié à Yvonne Nicolaï (fille de Maître Alexandre Nicolaï, historien, archéologue et propriétaire du château Robillard), André Dubourdieu s’éteint le 5 janvier 1979 à Saint-André-de-Cubzac.
Son nom a été donné à une rue du lotissement du château Lamothe en 1983, ce bel hommage - bien mérité - peut s’accompagner d’un autre, intemporel et simple : celui de ne pas oublier l’action de ces pionniers de l’Aéropostale et de faire vivre leur mémoire.
© Texte de Christophe Meynard / ARHAL / Janvier 2019