Retour sur le parcours de Jean Lavidalie, le mécanicien de Jean Mermoz, qui a péri avec lui dans l’océan Atlantique.
À Virsac, personne ne se souvient de lui, mais son portrait trône dans la salle du conseil municipal. Un visage devenu presque familier pour les Virsacais qui croisent son regard les jours d’élection.
Un regard profond, intriguant, empli de mélancolie. “Lui“, c’est Jean Lavidalie. Il est mort en décembre 1936. Sa mémoire a été rappelée dans les journaux du monde entier. Il a eu droit à des obsèques nationales aux Invalides, en présence d’une foule considérable et des principales autorités du pays. Il a été cité à l’ordre de la Nation. Pourtant, aujourd’hui, il est tombé dans l’oubli et seule une rue, baptisée récemment dans la commune voisine de Saint-André-de-Cubzac, dans le quartier de La Garosse du Bouilh, rappelle sa mémoire. Fils de modestes cultivateurs, il naît le 30 octobre 1902 à Virsac. Au lendemain de son service militaire, cet homme dévoué, diligent, habile, entre dans la Compagnie aéropostale en qualité de mécanicien. Il sait comment vit et respire le moteur le plus compliqué, il devine la panne avant qu’elle ne se révèle et trouve le moyen d’y parer. Lavidalie assure le premier courrier Casablanca-Dakar le 13 juin 1925 lors de l’ouverture de cette ligne dont Saint-Exupéry a conté l’héroïque destin. Il est confronté à plusieurs pannes en zone dissidente mauresque, mais il s’en tire toujours. Rapidement, ses qualités le conduisent à être choisi pour effectuer le premier voyage de reconnaissance en 1929, en vue de l’établissement des lignes aériennes transafricaines entre Alger et le lac Tchad. Lorsque l’hydravion la Croix du Sud, affecté à Biscarosse, commence son service, on fait appel à lui parce qu’il est parmi les meilleurs. Il embarque tout d’abord aux côtés du mécanicien de la maison Hispano-Suiza, puis comme mécanicien titulaire. Il a la fierté de son appareil et de ses moteurs. Il est à son poste lorsque la Croix du Sud ramène fièrement le record du monde en ligne droite. Et c’est à cette occasion qu’il reçoit, à 32 ans, la croix de chevalier de la Légion d’honneur, le même jour que le pilote de cet hydravion : Jean Mermoz. Ses qualités professionnelles sont hors pair. C’est à Lavidalie que revient, pour une large part, l’honneur des traversées que réussit l’hydravion.
Mermoz, c’était pour le profane un demi-dieu qui tant de fois avait fait reculer la Camarde dans les solitudes glacées de la Cordillère des Andes. Il symbolisait l’aviation de ligne dans ce qu’elle a de moins périssable : sa vaillante intelligence et une énergie fabuleuse. Davantage que l’aviation de ligne, davantage que l’aéropostale, l’honneur de la France aérienne, de cette France qui courait à travers le monde entier à cette époque et surtout parmi ces régions de l’Amérique latine où il fit ses premières armes. Le 7 décembre 1936, au petit matin, Lavidalie rejoint l’équipage qui accompagne Mermoz dans la traversée de l’Atlantique sud à bord du Latécoère Croix du Sud. Le décollage est prévu à 4 heures du matin sur la piste de Dakar à destination du Brésil. Faux départ pour l’hydravion en raison d’une fuite d’huile. Il décolle enfin après réparation. À 10 h 20, on signale par radio que « tout va bien ». À 10 h 40, on donne le point et l’altitude. Et soudain, quelques minutes plus tard, à 10 h 47, la radio capte un message interrompu « Coupons moteur arrière-droit ». Puis c’est le silence. Des recherches méthodiques et des recoupements permettent de situer approximativement l’appareil, à 750 km au sud-ouest de Dakar. Un quadrimoteur survole les lieux, la Marine nationale est mobilisée. Le temps est favorable, la mer immobile, la visibilité parfaite. Aucun débris ne sera retrouvé, pas un indice, pas une trace. On peut raisonnablement penser à une rupture du réducteur du moteur arrière-droit qui aurait entraîné la libération de l’hélice. Dans sa course, celle-ci aurait sectionné les commandes de vol de la partie arrière du fuselage.
Malgré l’enquête, nul ne peut confirmer ou infirmer cette hypothèse, car l’hydravion n’a jamais été retrouvé. Jean Lavidalie effectuait ce jour-là sa 21e traversée de l’Atlantique. Il totalise 3 197 heures de vol avec 474 731 kilomètres.
En France, la douleur est immense. On attend avec une confiance sans limite l’annonce d’un sauvetage. Cinq hommes ont disparu : Jean Mermoz le chef de bord, Alexandre Pichodou le pilote, Henri Ézan le navigateur, Edgar Cruveilher le radiotélégraphiste et Jean Lavidalie le mécanicien. On espère, puis on désespère.
Le cœur est serré, on se résout à penser que l’on ne retrouvera jamais la Croix du Sud et son équipage. Mermoz disparu à l’orée de la guerre, la France perd un peu de son âme et de sa jeunesse. Mermoz et ses camarades de l’Aéropostale étaient des héros solaires qui élevaient tout un peuple par leur courage et la pureté de leur cause pacifique. Au moment de l’hommage solennel de la Nation, on a vu une France qui oubliait tout, qui faisait fi des querelles politiques, des divisions, des inquiétudes, devant le souvenir de héros morts tragiquement. Les flots ont été malheureusement plus traîtres que les sinistres Andes aux pics inviolés. Car les flots n’ont jamais rendu les corps...Le lendemain de l’annonce de leurs disparitions, les témoins de l’époque avaient vu de jeunes personnes penchées sur les journaux des kiosques dans les rues de Paris. Des larmes coulaient sur leurs joues qu’éclairaient brusquement les lampadaires électriques.
Quels discours officiels, quels regrets, même issus de l’éloquence du cœur, ne vaudront jamais ces petites gouttes sincères ? C’est le plus bel hommage que ces héros d’un temps qui n’est plus méritent.
Avec un autre : la promesse de ne pas oublier leurs actions et de faire vivre leur mémoire.
© Texte de Christophe Meynard / ARHAL / Décembre 2016